Anthologie subjective

Fil des billets

lundi 9 novembre 2015

Anthologie subjective : Edmond Dune

Difficile d’habiter au Luxembourg et de s’intéresser à la poésie sans rencontrer Edmond Dune (1914-1988). L’imposant ouvrage consacré à sa poésie complète permet entre autres de comprendre le cheminement de cet auteur emblématique de la littérature grand-ducale : assailli par la rage d’écrire et d’être publié, Dune s’empare du style le plus académique à ses débuts pour se libérer peu à peu du carcan de contraintes surannées, pour épurer son écriture. Dans ce poème, publié en 1950, il met en scène un futur rêvé à partir des vicissitudes du présent ; rôle essentiel pour un poète, dont je reparlerai bientôt à l’occasion de la sortie de mes Flo[ts].

Edmond Dune, Œuvres complètes, tome I (poésie), éditions Phi


Pour un autre âge

Il souffle un vent de feu sur les pages menteuses
Les mots claquent des dents
Les visages s'effacent
La nuit descend sur les royaumes de l'encre.

Hors des déserts où se morfondent les faux prophètes
Les marchands de sable conduisent leur caravane
De trésors d'illusions aux villes englouties
Là où le crieur d'eau a toujours soif de vin.

Ici c'est le matin sur les agaves
Les fontaines du réel remplissent les ruelles
De ruisseaux de musique de rivières d'odeurs
Le soleil des oranges croule dans les barques.

Allez-vous nous parler encore
Du destin des voiliers
Des fantômes du vent
De la fatalité des noyés à la dérive ?

Non !

Je parlerai de l'homme futur
Tel que le voient les étoiles
Dont la lumière n'a pas encore atteint la terre
De l'homme qui n'aura plus jamais besoin
De cacher les couleurs de son espoir
Sous un costume de bagnard
Plus besoin de courir après des ombres
Et de rêver pour remplacer le vivre.

Il souffle un vent d'enfer sur les drapeaux en flammes
Les nations s'écroulent comme des châteaux de cartes
La haine des soutiers fait rebrousser les cuirassés
La révolte des nègres incendie les champs de pétrole
Et dans les banques l'or se change en plomb
Et les gardiens armés deviennent mannequins de cire.

Quand nous serons bien seuls sur les steppes du monde
Allant au pas berceur des mules sonnaillantes
Tout le soleil à partager, tout le blé de la terre
Quand nos enfants riront d'être nus sur les plages
Aux yeux la vérité,
Aux lèvres le mot juste
Alors...

Ah, taisez-vous, taisez-vous !

... alors il sera temps de reparler
Du destin des voiliers
Des fantômes du vent
De la dérive des noyés
Mais comme d'un passé enfin passé.

lundi 12 octobre 2015

Anthologie subjective : Pierre Joris


Image : Frédéric Bisson, flickr, CC-BY-2.0

Pour écrire sur un poète, rien de plus simple pour se documenter : il suffit de lire (ou relire) ses livres. C’est ce que j’ai donc fait pour Pierre Joris (l’article est là). Belle occasion donc de le citer ici aussi. Mais comment choisir, pour ajouter quelques vers à ce site dans la rubrique « anthologie subjective », parmi une production pléthorique et en général assez diversifiée ? Je me suis décidé pour deux courts poèmes lus dans l’anthologie Poasis, qui regroupe des poèmes que Pierre a écrits entre 1986 et 1999.

 

Il m’a semblé que cette courte page était plutôt caractéristique de son travail : lignes courtes, composition parcimonieuse des vers sur la page, phrasé sec et direct, vocabulaire sans fioritures, coupures d’accentuation. On ne rentre pas sans effort dans la poésie de Pierre Joris mais, une fois entré, on ne la quitte qu’à regret.


2 Poems for Pens


I.


black & blue
the inks mix
sky at five o'color
a fountain
pen like a big
beaked bird,
            childhood
games & smells


2.


                            I see the pen
poised, the shadow it throws,
the indents in the wooden
underbelly below the nib,
like sharkgills,
               the meat eating
metaphor
i.e. writing instrument.

page 2 de 2 -