« soudain il n’y en a plus que pour elle / elle avale d’un coup tout ce qu’il y a / tout ce qu’il y eut / tout ce qu’il y aura » : c’est à un coup de foudre que nous invite Éric Chevillard, dont le narrateur s’éprend de la charmante Pimoe, parangon de l’amour idéal autant qu’inaccessible. Qu’à cela ne tienne : voilà notre célibataire, « poète troussant l’odelette / le madrigal », qui se lance dans une quête picaresque à la poursuite de sa belle, au moyen de vers narratifs sautillants. Fidèle à son habitude, l’auteur sert des phrases espiègles et pleines d’humour, qu’il rime et rythme ici pour en souligner les péripéties : « elle n’y était plus / le croiras-tu / abolie / depuis quand partie / seul demeurait le muret bas mais le muret bas / sans Pimoe dessus ne m’intéressait plus / banal ouvrage de granit gris », « voici toute ma personne extraite / de l’eau comme un exocet ». Au cours de cette poursuite un peu vaine, notre célibataire souffre dans son corps, mais n’oublie jamais sa bien-aimée : « coup de massue / sur le crâne / ou d’un autre truc aussi dru / gourdin merlin / ligoté serré / os en fagot / quand je reprends connaissance / c’est pour recouvrer la pensée / de Pimoe ». Même s’il adopte à un moment de relatif découragement un ton bravache, clamant que « le célibataire / il n’y a pas plus heureux sur terre », c’est toutefois avec constance qu’il recherche sa Pimoe fuyante telle une anguille. « que sais-tu Pimoe de ces heures / où la lune dans la nue est ma sœur / d’infortune » ? Ohé ! Elle est là, elle est proche, le narrateur touche au but, imagine sa félicité : « cette fois sans hésiter je l’aborderai / mes mains d’enfant sur ses seins / comme des grappins / je me ventouserai à son flanc / s’il le faut / je parasiterai son boyau / et si j’ose / je lui déclamerai le poème / que je compose depuis que je l’aime ». Las, tous les appels restent vains, toutes les aventures se soldent par un échec. On est partagé entre solidarité légitime et envie de pouffer, tant notre narrateur — notre auteur — agrémente ses vers de réflexions digressives amusantes. Un exemple ? Pimoe est un nom emprunté au Kumulipo, chant hawaïen de la création. À l’évocation de celui-ci, on peut voir en marge et en petits caractères : « rien de commun avec l’Oulipo / il y a des e dans certains mots ». Un peu potache, parfois ? Assurément, mais c’est pleinement assumé. En ces temps incertains où rire ne peut que faire du bien, Ohé Pimoe accorde une étincelle de légèreté à la lecture, une échappatoire à la dureté du monde, une plongée dans la passion. Les cent minuscules et malicieuses illustrations de Philippe Favier, répertoriées comme des notes, ajoutent aussi à ce sentiment. On vibre à la quête du narrateur, on vit cette aventure en geste amoureuse, on sourit, on s’amuse. « si ceci n’est point un récit picaresque / peint à fresque / sur le chemin avec mes pieds / chaussés de forts souliers / alors qu’est-ce que » ? Ohé !

Éric Chevillard, Ohé Pimoe, éditions Fata morgana, ISBN 978-2-37792-197-3