« Pour les Indiens d’Amérique, l’hiver est / la saison des histoires. Car il suffit / d’écouter le vent. Il est la mémoire de / ce territoire. Il l’a balayé tant de fois. » Et voilà que Béatrice Machet, traductrice infatigable des poètes autochtones d’Amérique, se met en quête des quelque cinquante rafales qui composent ce recueil, un mélange de récit de voyage dans la région des Grands Lacs et de spiritualité, un véritable bouillon de culture et de langues indigènes : « S’engouffrant par le nord / les vents ont enseigné leurs langues / aux Algonquins. » Tout ici respire la rive, se met à l’affût « du rose dans les ondulations » des lacs, longe les berges pour en tirer les contes et légendes ancrés dans les lieux : « Bruissements légers en lisière de plage. / Caresses et murmures. Promesses / venues de temps immémoriaux. » Car dans Rafales, c’est le temps long que l’on contemple. La mémoire affleure de l’eau qui caresse encore et encore le rivage, par-delà la grande eau salée aussi, au point que des réminiscences bretonnes se font jour dans l’esprit de la poétesse. Son « identité tribale » à elle aussi se dévoile. Alors, les mots de la finis terrae européenne viennent se mêler aux mots de la nation Anishinaabe, qui parsèment le livre comme autant de petites pierres apportées à l’édifice de l’hommage — car il est question ici aussi de dépossession des terres ancestrales. « Provoquer le vent. Le défier à la course » : ces rafales aux intonations chamaniques, où « le cuivré du couchant / Qui titube d’une rive à l’autre » éclaire d’une lueur aiguisant le regard, nous caressent et nous emportent tour à tour. Clin d’œil à un précédent recueil (Tourner. Petit Précis de rotation), constance dans la construction, Béatrice lie également son exploration américaine à l’obsession du cercle : « Circularité : on ne voit pas le temps passer / mais sa façon de reculer au fur et / à mesure que je marche. » Sans cesse, elle parcourt le paysage à la recherche de ce qu’il peut lui dire, nous dire. Sa langue contient la simplicité des légendes et la poésie des grands espaces, accrochée qu’elle est à des peuples et des idiomes pour qui la poésie est essentielle. L’autrice est allée y chercher le souffle. « D’où la nécessité du vent. Tout est lié. »

Béatrice Machet, Rafales, éditions Lanskine, ISBN 9782359631265


Extrait audio :