La mer dans les îles Orcades en Écosse. (Photo : privée)

Lorsque tu écumeras
le sel qui décante de tes phrases
veille à utiliser un maillage serré ;
sinon, comment rendre
la sueur du ramasseur de goémons
le frêle équilibre de l’enfant
qui frôle de ses pieds nus
les côtes de ton territoire si terrestre ?

Il faudra pourtant
te tourner vers l’espace marin et
accueillir la houle — coloniser l’estran
de tes idées vagues pour arrimer
tes vers au réel. Il te faudra bien sûr
respirer dangereusement des algues vertes
pour extirper les couteaux à vif
de leur sable refuge

Je me souviens : un bernard-l’hermite
une plage tropicale de sable blanc,
des patates de corail, l’envie de plonger
pieds nus pour admirer les poissons multicolores ;
mais tu veilleras, toi, à protéger tes membres
de la morsure du poisson-pierre —
à polir le sable jaune jusqu’à l’usure
avant le naufrage imminent des pétroliers

Tu compteras avec soin les salves
de lumière du phare dans le lointain
pour en donner le rythme aux mots.
De l’avitaillement, tu maîtriseras la cambuse —
tu feras du port ton mousse bienveillant
dans les bars de marins, dans les capitaineries
tenant sans cesse le cap de ton journal de bord
le nez levé vers les constellations
à vue, sans compas ni sextant
entre deux îles polynésiennes

Tu te plongeras dans les traités de navigation
y maudissant les quarantièmes rugissants ;
tu en copieras les règles de syntaxe
et d’accord entre voiles et vents
pour échapper au calme plat
d’un carnet désespérément vide. De sens
il ne saurait y avoir sans que tu veilles
de nuit, doux hamac et brise légère —
peut-être aussi cabine trempée et corps grelottant

Lorsque tu verras enfin la Croix du Sud,
tu reposeras ton filet et ses mailles ;
tu laisseras même les mouettes voler ta pêche.
Tu glisseras en eaux profondes
pour briser les harpons des baleinières
puis tu passeras entre balises rouges et vertes
et tu t’attableras face à moi, devant un verre
de rhum blanc des îles, empli
d’embruns et de rimes

S’il te plaît, écris face à la mer.