Je suis abonné depuis quatre ans à la revue Voix d’encre, et je m’aperçois que je n’en ai pas encore parlé dans le cadre des revues de revues sur ce site. Devant la profusion de revues de poésie, force est, pour l’amateur, de faire un choix, évidemment. Pourquoi celui de Voix d’encre ? D’abord pour le soin apporté à la réalisation de celle-ci — oui, il est agréable de lire des revues sous forme de fanzines concoctés artisanalement, on se sent complice en poésie, on devient partie d’un cercle de happy few qui savent, eux ; mais de temps en temps, il est aussi agréable de savourer des pages bien pensées sur un papier de qualité. Ensuite pour l’exigence éditoriale qui fait que la revue, trimestrielle, publie relativement peu de textes en une soixantaine de pages, car la composition est aérée.

Et côté exigence éditoriale, force est de constater que ce numéro 61 est particulièrement réussi. Il commence par un conte de Mohammed Dib (1920-2003), « La Bête jolie ». Un conte dans une revue de poésie ? Rien d’étonnant, puisque Jean-Pierre Chambon, du comité de rédaction de Voix d’encre, nous explique en citant Dib que pour celui-ci, « dans les poèmes et dans les contes, l’écriture se retrempe et se rafraîchit ». Et puis le style de « La Bête jolie » est poétique à souhait, incluant également des bribes de chansons. Pas de doute : cette entrée en matière a toute sa place dans la revue. Suivent des poèmes de Maud Bosseur et de Max Alhau, pour arriver à mon deuxième coup de cœur de ce numéro : la série « Tout est dans le titre » de Patricia Castex Menier. Écriture reconnaissable à ses strophes dont le premier vers est formé d’un seul mot, pour s’étirer ensuite ; écriture du quotidien, mais dont la forme scande pour créer rythme : « Il / y a peu compagnon de misère, / d’alcool ou de seringue, // grand / et ocre le chien perdu, // lâché, // et / passent les “frères humains”. » Puisque tout est dans le titre, voici donc celui de ce poème : « Ballade ». Écriture prenante, incisive, ironique ; écriture poétique en somme.

Aphorismes de Gérard Le Gouic, long poème de Werner Lambersy, et puis autre coup de cœur : les pornosonnets de l’Argentin Pedro Mairal, traduits et présentés par Fernande Bonace. De véritables petits bijoux de poèmes qui utilisent la contrainte pour se libérer. Mairal les a composés « pour se divertir » lors d’épisodes creux pendant l’écriture d’un roman — tiens, n’avons-nous pas lu plus tôt comment Mohammed Dib se ressourçait dans les poèmes et les contes ? —, et le divertissement y est roi, sur un mode « hypersexué », comme le confie l’auteur. L’exemple reproduit ci-dessous (et qui me touche particulièrement, dois-je avouer en admirateur absolu de la plastique de Lynda Carter) devrait aisément convaincre les réticents ou réticentes ; il y a dans ces sonnets, rendus très habilement par la traductrice, un jeu permanent, un mouvement perpétuel, une énergie incroyable. Et pas seulement sexuelle, évidemment : de porno, les pornosonnets n’ont que le nom et une certaine atmosphère, puisque certains sont tout simplement de magnifiques poèmes d’amour.

Ce numéro se conclut avec « 99 thèses » de Michael McClure, traduit par Alain Blanc. Je n’y ai pour ma part pas pris beaucoup de plaisir, à part celui de lire pour information une figure majeure de la Beat Generation (il est né en 1932). Mais les goûts et les couleurs… Comme je l’ai déjà écrit, les revues sont aussi faites pour ça, et ce qu’une adore sera ce qu’un autre détestera. En tout cas, le subtil mélange de poètes vivants et historiques de ce numéro de Voix d’encre fait mouche.


ma chère wonder woman mon héroïne
tu n’es jamais accourue pour me sauver
dans ton avion invisible et m’embrasser
c’est moi qui t’aimais assis dans la cuisine
en prenant mon nesquik devant la télé
moi encor qui tremblait quand l’autre méchant
te pendait par les pieds moi qui bandait tant
sans rien pour m’apaiser ni me consoler
lorsque tête en bas on voyait déborder
tes nichons de ton costume plein d’étoiles
les charlie’s angels maigres beautés fatales
ne me faisaient frémir ni m’émerveiller
toi avec ta couronne et tes bracelettes
tu me mettais en feu des pieds à la tête

Pedro Mairal, pornosonnet « 1. »