Est-il besoin de parler de Placenta, de David Besschops, alors qu’il a déjà attiré l’attention du site lelitteraire.com ? Oui, parce qu’il s’agit là d’un livre doublement intéressant : d’abord par son texte, sur lequel je reviendrai, mais aussi par la remarquable continuité dans les choix de l’éditeur, Cormor en nuptial, qu’on peut y déceler.

Je m’explique : je suis venu aux livres de la maison basée à Namur par le premier ouvrage d’Heptanes Fraxion. Déjà on sentait le goût de Gaël Pietquin, le poète éditeur, pour une certaine langue qui bouscule, mais qui ne le fait pas de façon superficielle : chez Heptanes Fraxion, le rentre-dedans n’est pas une posture, c’est un art d’écrire qui sert à en dire long sur la société, et pas que du beau. Même sensation dans le deuxième ouvrage que j’ai lu de la même maison, Oaristys de Rémy Disdero. Lui a été chroniqué sur La Cause littéraire. Comme quoi un petit éditeur peut arriver à faire du bruit autour de ses publications – Gaël est tenace et soutient ses auteurs. Et, pour revenir à mon propos, il aime la langue qui bouscule, qui choque intelligemment.

Dans Placenta, plutôt que de la poésie plus ou moins métrée comme chez Fraxion, on a affaire à de la prose poétique savamment formatée, contrairement à Oaristys qui partait dans tous les sens dans un joyeux capharnaüm où les rêveries de Daumal (oui, c’est dans l’article de La Cause littéraire, mais j’y ai pensé aussi !) ne détonnent pas. L’ensemble est une suite décousue d’histoires qui constitue la chronique de… de quoi exactement ? D’une famille déviante, d’un drame de la vieillesse, d’un inceste ? Eh bien, de tout ça à la fois. On y trouve des personnages truculents racontés par un narrateur ou à la première personne, le flou du récit est la règle, ce qui n’est pas si mal : on a envie de s’y replonger, de comprendre cette histoire morcelée, de cerner les motivations de ces protagonistes qu’on sent humains, forcément humains, mais tout de même de l’autre côté de la normalité exacerbée.

Attardons-nous sur l’origine du titre, qui permet aussi de donner un exemple représentatif du texte : « N’ayant plus l’énergie pour le choyer et le secourir à distance elle reconnaissait un bénéfice pratique à la situation / la possibilité de prodiguer de la tendresse à ce néné qui trimballait encore partout en guise de doudou / son placenta au bout d’une ficelle / comme une petite planète crevée dont l’hélium s’était enfui. » La mère (« dont la vulve jusqu’alors ne bêlait qu’un coin-coin timoré ») et son enfant sont les figures majeures du texte, qui évoque cet amour inconditionnel qui tourne à l’inceste, dans une langue faite de phrases souvent longues et à l’enchaînement inexorable de mots, parfois scatologiques, parfois crus dans leur description de la sexualité.

Mais cet inceste n’est pas amour exclusif, et l’histoire sent la baise et le foutre, littéralement. Comme on l’a vu, pas dans un but de monstration stérile : dans la continuité des ouvrages publiés précédemment, Besschops donne à entendre des voix qui tranchent sur la poésie des petites fleurs et des petits oiseaux, sans pourtant céder à la provocation gratuite. Si le sexe et la violence sociétale régissent le monde (ou bien en tout cas une partie), pourquoi ne pas l’évoquer intelligemment sur papier ? C’est le pari de Cormor en nuptial, en tout cas comme je le perçois dans les livres sortis successivement ces derniers mois. Peut-être pas exclusivement, bien sûr. Mais suffisamment pour saluer à la fois l’éditeur et ce nouvel ouvrage d’une lecture revigorante.

David Besschops, Placenta, éditions Cormor en nuptial, 56 p., ISBN 978-2-9602243-2-0


Aujourd’hui encore il lui arrivait de lambiner avec sur le costume une tache de mère qui avivait des jalousies au sein d’une communauté où la plupart des branques éjaculaient du sperme ordinaire.
Très souvent circonstancié.
À quoi cela aurait-il pu lui servir ?
De toute façon il était gauche de ses dix doigts.
Et infichu de ramener ne fût-ce qu’une visseuse ou un tournevis à la maison.