J’ai rencontré Frédéric Dechaux au Marché de la poésie, et nos discussions m’ont naturellement conduit à me procurer son livre. Pour qui devise avec ce jeune homme souriant et sympathique dans un tel cadre, Réflexions buissonnières peut se révéler une surprise : en effet, l’auteur y fait preuve d’un certain pessimisme qui s’attache à dénoncer les petites compromissions quotidiennes de tout un chacun, sans jamais s’épargner lui-même d’ailleurs. Les petites manies de se raconter des mensonges pour simplement survivre dans un monde hostile y sont décortiquées avec un scalpel parfaitement affûté, dans des courts paragraphes qualifiés d’aphorismes. Est-ce de la poésie ? Est-ce un essai ? De la philosophie ? De la psychanalyse ? Peut-être bien tout ça à la fois…

« La soumission à l’ordre social est acquise, et garantie à long terme, dès lors que s’est imposée à tous l’absence de projet alternatif. De là vient que les inadaptés trouvent ensuite leur seul réconfort dans leurs mondes intérieurs. » Évidemment, une telle phrase ne remplace pas les livres d’analyses d’Ivan Illich ou de Jacques Ellul sur la société actuelle, mais, avec sa concision frappante, elle permet l’impact direct et immédiat sur la conscience du lecteur. À lui d’amorcer sa réflexion en attrapant les petites perches que tend Frédéric tout au long de l’ouvrage. Car il parle de lui et de nous comme il parle de notre passé et de notre avenir, voire de notre futur : « Les australopithèques, les pithécanthropes, les néandertaliens se sont éteints les uns après les autres. Comment ne pas se consacrer à poursuivre le processus ? L’évolution s’appuie sur l’apparition d’espèces nouvelles, elle réclame, elle exige des mutants. »

Souvent, les aphorismes poétiques sont courts et humoristiques. Justement, chez l’auteur, ils se font mutants, s’allongent et prennent une tournure philosophique plus prononcée sans pourtant complètement s’affranchir d’un certain humour (on pense un peu à Novalis). Un humour noir, fait d’une certaine ironie et d’une autodérision certaine. Si Frédéric met le doigt là où ça fait mal, ça n’est pas par défaitisme. Ce n’est pas parce que « Nous appréhendons généralement le monde selon les schémas illusoires que la pensée adopte dès l’enfance » qu’il ne faut pas combattre lesdits schémas. Première étape : en prendre conscience. C’est exactement ce que ce livre permet. Et puis le pessimisme n’est pas omniprésent. L’auteur n’est au fond pas aussi misanthrope ou sombre que ce qu’il laisse transparaître dans ses aphorismes. La preuve ? « Ce souffle qui vous réchauffe le corps, puis l’esprit, et vous éveille à la nature divine ! »

À l’heure où les élèves de lycée viennent de plancher sur leurs copies de philosophie, on se prend à rêver : et si on mettait Réflexions buissonnières entre les mains des futurs bacheliers ? Un langage simple, des réflexions pertinentes et des interrogations appropriées, peut-être que ça réconcilierait certains avec la matière. Je crois bien que ça m’aurait plu, en tout cas.

Frédéric Dechaux, Réflexions buissonnières, éditions Unicité, 15 × 21 cm, 82 p., 13 €, ISBN : 978-2-37355-102-0.